Kiosque | La nutrition accentue les disparités de taille

Crédit photo: © AICS (Agenzia Italiana per la Cooperazione allo Sviluppo) Tunisi / Twitter


Selon une étude parue dans « The Lancet », l’écart mesuré, à 19 ans, est de près de 20 cm entre les nations.


Par Mathilde GÉRARD / Le Monde

Dimanche 8 novembre, l’attaquant star de Manchester United, Marcus Rashford, a obtenu du gouvernement britannique qu’il maintienne les distributions de repas gratuits aux enfants les plus pauvres (1 million de bénéficiaires) pendant les vacances scolaires de Noël. Une victoire de plus pour le footballeur de 23 ans qui, depuis plusieurs mois, met sa notoriété au service de la lutte contre la pauvreté infantile, et en particulier contre la précarité alimentaire.

Si la bataille pour les free meals (« repas gratuits », à la cantine ou sous forme de bons d’achat) que mène le numéro 10 mancunien a un impact social immédiat, une telle mesure peut aussi améliorer la santé à long terme des jeunes générations. Une étude publiée samedi 7 novembre dans la revue médicale The Lancet montre ainsi comment la nutrition au fil des années scolaires affecte la taille et le poids des jeunes quand ils atteignent la majorité et appelle à étendre les programmes alimentaires pour les enfants.

Une équipe internationale de chercheurs, dont une partie rattachée à l’école de santé publique de l’Imperial College de Londres, a analysé l’évolution de la taille et de l’indice de masse corporelle (IMC, poids rapporté à la taille) d’enfants et adolescents de 5 ans à 19 ans dans 193 pays depuis 1980. Pour y parvenir, les scientifiques ont mis en commun et harmonisé les données issues de plus de 2 000 études de populations.

Un travail inédit qui leur per­ met de conclure à une différence de près de 20 cm entre les nations où les jeunes de 19 ans sont les plus grands – comme les Pays­ Bas (183,8 cm pour les garçons en moyenne et 170,4 cm pour les filles), l’Islande ou le Monténégro –, et les nations où ils sont les plus petits, comme le Bangladesh (165,1 cm et 152,4 cm), le Guatemala ou le Timor­-Oriental. A 19 ans, une Guatémaltèque fait, par exemple, la même taille qu’une Néerlandaise de 11 ans, selon cette étude.

L’Europe de l’Ouest est loin de former un groupe de pays homo­gène : les Françaises de 19 ans font pour leur part la taille des Néerlandaises de 14 ans – l’écart est moindre chez les garçons (16 ans). Et si les Françaises sont passées en moyenne de 163,2 cm en 1980 à 164,5 cm en 2019, ces gains de centimètres ont été moins importants que pour d’autres pays, rétrogradant la France du 35e au 45e rang des nations étudiées selon ce critère.

Niveau de vie

L’étude porte également sur les variations de l’IMC, utilisé pour mesurer, entre autres, le surpoids ou l’obésité, et conclut à des IMC plus élevés dans les îles du Pacifique (Tonga, îles Cook…), au Moyen­ Orient (Koweït, Bahreïn), aux Etats­-Unis et en Nouvelle­-Zélande.

« Nous nous sommes intéressés à la taille et à l’IMC, car il s’agit de deux indicateurs de la qualité de la nutrition et d’un environnement salutaire durant l’enfance et l’adolescence, explique Andrea Rodri­guez Martinez, chercheuse à l’Im­perial College de Londres et première autrice de l’étude. Jusqu’à l’âge de 5 ans, la taille est principalement déterminée par l’alimentation. A partir de 5 ans, la taille est le résultat d’une association complexe entre des facteurs génétiques et environnementaux (principalement nutritionnels, mais aussi liés à l’activité physique). »

La génétique est le premier fac­teur qui vient à l’esprit quand il s’agit de comparer des tailles, mais les travaux de l’Imperial College montrent qu’elle n’apporte qu’une fraction de réponse, et ne permet pas de comprendre leur évolution au fil des décennies.

Dans certains pays, les jeunes ont ainsi connu une croissance spectaculaire en une génération. C’est le cas en Chine, où les fem­mes de 19 ans ont gagné 6,1 cm en près de trente ans pour atteindre 163,5 cm en 2019. La croissance est encore plus marquée chez les jeunes hommes chinois et atteint 8,1 cm pour une moyenne à 175,7 cm. Des gains qui s’expliquent en très grande partie par la hausse du niveau de vie du géant asiatique. « Nous avons aussi observé que la taille des populations descendantes d’immigrés a tendance à converger en quelques générations avec celle du nouveau pays, ce qui renforce l’idée que la génétique ne joue qu’un petit rôle par rapport à la nutrition ou l’envi­ronnement », poursuit Andrea Rodriguez Martinez.

Au­-delà des facteurs génétiques, c’est ainsi l’environnement économique, sanitaire et alimentaire qui est au cœur des explications. L’âge de survenue de la puberté, qui lui-même peut évoluer en fonction de facteurs environne­ mentaux, entre aussi en jeu dans la croissance des adolescents, mais son impact n’a pas pu être mesuré dans cette étude. « Chaque pays a ses propres déterminants mais, de façon générale, on retrouve, parmi ceux qui ont connu des gains de taille importants, des pays qui ont su mettre en place des programmes nutritionnels ciblant la petite enfance et la période scolaire couvrant la quasi­ totalité de leur population », ana­ lyse Andrea Rodriguez Martinez.

A l’inverse, dans quelques pays d’Afrique subsaharienne, notamment ceux en proie à des conflits armés, la taille des garçons a stagné voire a baissé depuis 1980. C’est le cas en Sierra Leone, en Ré­ publique démocratique du Congo (RDC) ou encore au Burundi.

Bons alimentaires

Pour les chercheurs, les disparités de taille et d’IMC doivent être prises comme les deux facettes d’un même problème : les difficultés d’accès à une alimentation saine, qui peuvent se manifester à la fois par des retards de croissance chez les enfants et par une hausse de l’obésité infantile, affectant durablement leur santé. « Avoir une petite taille et un IMC trop faible accroît le risque de morbidité et de mortalité, précise Andrea Rodri­guez Martinez. Cela nuit au développement cognitif et réduit la performance éducative et la productivité au travail par la suite.» A l’autre bout du spectre, un indice de masse corporelle élevé est pour sa part associé à un risque accru de maladies chroniques et de mort prématurée à l’âge adulte.

Si les Nations unies scrutent de près les indicateurs de retard de croissance et d’émaciation (faible poids pour la taille) chez les enfants de moins de 5 ans (dont la réduction figure parmi les objectifs de développement durable pour 2030), la nutrition des enfants en âge d’aller à l’école échappe davantage à l’attention politique. L’étude du Lancet montre aussi que, dans des pays comme le Chili, l’Afrique du Sud ou les Emirats arabes unis, les enfants de 5 ans ont une taille et un poids conformes aux références de l’Organisation mondiale de la santé mais que, pendant leur scolarité, les courbes se cassent, éloignant ainsi les jeunes de ces pays de leur potentiel de croissance.

Pour le professeur Majid Ezzati, de l’Imperial College, « il y a un déséquilibre entre le travail pour la nutrition des tout­-petits et celui mené auprès des enfants et adolescents scolarisés. C’est particulière­ ment important dans le contexte de pandémie qui a vu se fermer les écoles à travers le monde, et de très nombreuses familles pauvres ne plus pouvoir fournir une alimentation adéquate à leurs enfants ».

Parmi leurs recommandations, les auteurs de l’étude du Lancet ap­pellent les Etats à avoir une politique alimentaire plus volontariste. « Bons alimentaires pour les fa­ milles aux revenus modestes, repas scolaires… Nos résultats montrent qu’il faut engager des politiques qui favorisent l’accès à des aliments nutritifs et en réduisent le coût, car cela aide les enfants à grandir sans accroître excessivement leur poids par rapport à leur taille », résume Andrea Rodriguez Martinez.

Faire grandir les enfants pour leur assurer un meilleur avenir : de quoi donner un argument de plus, s’il en fallait, à Marcus Rash­ford pour défendre la pertinence des free meals, surtout en période de récession économique. L’atta­quant n’a d’ailleurs pas manqué de relayer l’étude du Lancet sur son compte Twitter.

M.G.

­ — article publié le 11/11/2020


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