Décès | Au Borgel, au Djellaz ou ailleurs, peu importe… Adieu Jacob !

Photo : CFJ / N.F.


Mémoire juive de Tunisie, écrivain à ses heures perdues et virtuose des fourneaux, le gastronome Gilles Jacob Lellouche est décédé aujourd’hui après avoir lutté contre la maladie. Il laisse derrière lui le souvenir d’un grand passionné de la bonne chère et l’image d’un fervent défenseur d’une Tunisie plurielle, comme en témoignent ses deux précieux livres  :  « Tranches de vie et pain perdu  : chroniques de La Goulette et recettes Tunes » (Éditions Dar El Dhekra, 2015)  » et « Lettres de Noblesse de la gastronomie tunisienne » (Éditions Dar El Dhekra, 2019).


Il y a quelques jours, j’avais noté cette citation d’Alexandre Jollien, un écrivain suisse. Ces paroles m’avaient semblé exactes et je les endosserais sans hésiter.

Les voici dans leur simplicité et leur profonde vérité : « La vie est bien trop courte pour perdre son temps à se faire une place là où l’on en a pas, pour démontrer qu’on a ses chances quand on porte tout en soi, pour s’encombrer de doutes quand la confiance est là, pour prouver un amour à qui n’ouvre pas les bras, pour performer aux jeux de pouvoir quand on n’a pas le goût à ça, pour s’adapter à ce qui n’épanouit pas.

La vie est bien trop courte pour la perdre à paraître, s’effacer, se plier, dépasser, trop forcer.
Quand il nous suffit d’être, et de lâcher tout combat que l’on ne mène bien souvent qu’avec soi, pour enfin faire la paix, être en paix.

Et vivre. En faisant ce qu’on aime, auprès de qui nous aime, dans un endroit qu’on aime, en étant qui nous sommes, Vraiment. »

Ces mots me remuent davantage encore après avoir appris le décès aujourd’hui de NOTRE ami Jacob Lellouche. Il était malade depuis quelques temps et hier soir, un appel téléphonique de notre amie Rawdha Seibi me confirmait qu’il était au plus mal et que les médecins lui donnaient très peu de temps. C’est peu après midi aujourd’hui que j’ai appris sa disparition.

Jacob était un camarade de classe. Nous nous étions perdus de vue pendant une bonne décennie puis je l’avais vu resurgir à la tête d’un restaurant à la Goulette. Il avait fait le choix avec sa mère de revenir en Tunisie jugeant la conjoncture favorable à un retour au bercail. C’est dans ces circonstances qu’est né le restaurant goulettois Mamy Lily et pendant une vingtaine d’années, ce lieu convivial et familial allait devenir l’épicentre de toutes les saveurs culinaires juives.

 

Jacob
Jacob Lellouche et sa maman Lily. (Photo: DR)

 

Peu avant le décès de sa mère, le restaurant ferma ses portes malgré les efforts de Jacob. Une question immobilière avait eu raison de la petite villa chaleureuse, aujourd’hui remplacée par un immeuble des plus banals. Pendant un certain temps, Jacob allait organiser des chabbat gourmands chez lui et tentera même d’apporter sa touche incomparable au Saf Saf.

Las, la maladie allait le prendre en traître, le tenailler, le tarauder jusqu’à l’épuisement puis la mort.
Sa bonhomie, ses facéties et son sourire lui survivront. Ses idées généreuses aussi. Ses parents et ses amis ressentent de la douleur aujourd’hui et nous tous, fidèles compagnons, perdons un repère que nous croyions inébranlable. Ma journée est comme en suspens depuis que j’ai appris la triste mais inéluctable nouvelle. Un ami qui s’en va, c’est un peu de nous qui meurt.

 

Gilles Jacob Lellouche présentant aux médias l’un de ses concepts « La Ftira Loca ». (Crédit photo: Yessine REDISSI – © 66kifs.tn)

 

Tout devient relatif aujourd’hui. Il y a un temps de latence qui s’installe. Un temps pour le deuil, le respect d’une mémoire et la sympathie aux proches. J’ai perdu le dernier de mes oncles, la semaine dernière et j’en ressens encore l’ébranlement. Car cet oncle, le cadet de ses frères, fut aussi un peu mon grand frère. Faut-il l’avouer ? C’est qu’à l’âge qui est le mien, on subit tant de séismes, chaque jour, chaque année.

Nous portons tous une étincelle de mort en nous : une veine récalcitrante, une dent qui n’en finit pas de mourir dans notre bouche, des yeux qui ne peuvent plus vivre sans lunettes et du blanc qui envahit nos chevelures. Bien sûr, tout est question d’attitude et de philosophie. Stoïciens et épicuriens m’ont beaucoup appris. Montaigne, Cioran et les poètes aussi. Le dernier souffle, la dernière demeure, les dernières volontés viendront en temps voulu et chacun les vivra/mourra inévitablement.

 

Noblesse
Gilles Jacob Lellouche en train de dédicacer un exemplaire de son ouvrage « Lettres de Noblesse de la gastronomie tunisienne » (Dar Dhekra) dans l’Espace d’art Mille Feuilles, le 29 juin 2019, à la Marsa (Crédit photo: Gilles Jacob Lellouche)

 

Sous un ciel bleu, je pleure Jacob en silence et je me souviens. Demain, je me souviendrai que c’était un mercredi, que j’avais passé la matinée à écrire, que Pessah et Pâques n’étaient plus loin. Demain est un autre jour de toute façon car aujourd’hui, du moins ce qu’il en reste, sera un temps de réflexion et de recueillement à la mémoire de mes chers disparus.

Car récemment, je n’ai pas été épargné par ces tristes nouvelles qui vous font d’abord tressaillir puis s’incrustent en vous comme des vérités irréfragables. L’été dernier, Sabine Azzouz, amie de toujours, nous quittait après une leucémie foudroyante. Puis mon oncle Mondher. Et tous les autres, aimés et respectés que je ne saurais tous nommer : Tahar Gallali, Zinelabidine Benaïssa, Ezzeddine Gannoun dont je parlais il y a quelques heures car il est décédé un 29 mars.

 

Noblesse
Gilles Jacob Lellouche dans sa demeure à La Marsa. (Source photo: Gilles Jacob Lellouche – Facebook)

 

Était-ce un mercredi, comme Jacob ? Je ne sais pas et puis peu importe les jours s’envolent quand on ne peut plus les cueillir. Nous sommes un mercredi de mars, de ramadan et de nissan, ballottés entre nos trois traditions et nos décomptes savants mais tous ivres du même humus qui nous a fait naître puis nous engloutira au Borgel, au Djellaz ou ailleurs, peu importe. Baroukh dayan haemet cher Jacob, nous préserverons nos mémoires en partage.


 

2 Commentaires sur “Décès | Au Borgel, au Djellaz ou ailleurs, peu importe… Adieu Jacob !

  1. Tubiana says:

    Bravo pour ce magnifique hommage !! Quelle belle plume qui me donne envie de vous lire ! Et surtout merci de me faire croire qu il existe encore en Tunisie de belles personnes comme vous et Jacob et d’autres encore qui croient en l’amitié entre juifs et musulmans ! Et qui n’ont pas rayé les juifs du patrimoine tunisien auquel ils ont contribué !!

  2. Bernard Aidan says:

    Tres émouvant et touchant votre article un grand Fenen de la culture judéo-musulmanne nous a quitté et restera grave dans nos mémoires ! Allah i rachmou !! Rest in peace !! We love you Jacob ❤️

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