New York, paradis à huîtres en reconstruction

Par Laura BONILLA – Crédit photo: Don EMMERT – © AFP


Par une belle matinée ensoleillée, une dizaine de biologistes et de bénévoles s’activent, les pieds dans l’eau, dans un quartier côtier de Brooklyn. Leur but: édifier un récif d’huîtres, dans le cadre d’un vaste projet de restauration des récifs ostréicoles de New York.

En combinaisons de pêche et bottes de caoutchouc, le groupe forme une chaîne humaine qui se détache sur l’horizon de la capitale financière américaine, avec la statue de la Liberté et les gratte-ciel de Wall Street en toile de fond.

L’équipe lance des filets remplis de coquilles d’huîtres vides ou de coquilles dans lesquelles ont été introduites jusqu’à 20 jeunes larves d’huîtres. Puis les dispose en rangées au fond de l’eau, pour former le récif.

« Les huîtres sont des ingénieurs de l’écosystème et construisent un habitat (…) où d’autres espèces aiment aussi venir chasser ou vivre », explique à l’AFP Katie Mosher, responsable du projet de restauration « Billion Oyster Project » (« Un milliard d’huîtres » d’ici 2035), lancé en 2014 non pas dans un but gastronomique mais environnemental.

 

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Des membres du « Billion Oyster Project » placent des huîtres dans les eaux de New York, le 23 août 2018 (Crédit photo: Don EMMERT – © AFP)

 

Ces mollusques jouent aussi un rôle important de régulation: elles filtrent l’eau en respirant, permettant le passage de plus de lumière et la croissance de plus de plantes aquatiques.

 

– Grosse Pomme ou Grosse Huître –

Elles recyclent aussi les nutriments et l’azote. Et, en formant des grappes denses, servent de rempart naturel face à l’érosion, ou en cas de tempêtes ou d’ouragans.

« Avant de devenir la Grosse Pomme, New York était la Grosse Huître », souligne Mike McCann, expert en écologie marine pour l’organisation environnementale The Nature Conservancy, qui mène d’autres projets de restauration ostréicole, notamment à Hong Kong. « C’est une histoire qu’ont oubliée beaucoup de New-Yorkais, et que ce projet fait revivre », explique cet écologiste de 32 ans.

Lorsque l’explorateur anglais Henry Hudson entre dans le port de New York en 1609, il doit naviguer entre 89.000 hectares de récifs d’huîtres, dont se nourrissaient les indiens Lenape depuis des générations, raconte Mark Kurlansky dans son livre de 2006, « The Big Oyster » (La Grande huître).

 

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Des huîtres du « Billion Oyster Project » visant à restaurer les récifs ostréicoles de New York, le 23 août 2018. (Crédit photo: Don EMMERT – © AFP)

 

Les colons hollandais de New Amsterdam surnommaient d’ailleurs Ellis Island et Liberty Island, aujourd’hui très touristiques, « Petite île aux huîtres » et « Grande île aux huîtres ».

Mais au début du XXe siècle, avec la surpêche et la pollution, les mollusques ont quasiment disparu des eaux entourant la mégapole américaine.

Pendant de longues décennies, ces eaux ont été trop toxiques, empêchant quasiment toute vie aquatique. Cette dernière n’a réussi à renaître progressivement qu’après l’adoption en 1972 de la loi sur la propreté de l’eau (Clean Water Act), qui a interdit de déverser dans le port les déchets et les eaux usées non traitées.

Aujourd’hui, les efforts de restauration, auxquels participent des dizaines de partenaires et plus de 100 écoles publiques et volontaires dans de nombreux quartiers côtiers new-yorkais, commencent à porter leurs fruits.

 

– Huître géante –

Plus de 28 millions d’huîtres ont déjà été réintroduites en quatre ans et la santé du port n’a jamais été aussi bonne en 150 ans, selon les responsables du projet.

« Quand on met des huîtres au fond de l’eau, on remarque tout de suite une amélioration: il y a plus de poissons, plus de crabes », de langoustines et même des hippocampes, dit Katie Mosher.

Les récifs restaurés favorisent aussi la croissance d’huîtres sauvages: il arrive qu’on trouve une huître géante, comme celle de 20 cm sortie en août de la rivière Hudson, à proximité du quartier de TriBeCa à Manhattan, la plus grande depuis un siècle.

 

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Des sacs de coquilles d’huîtres, dans les eaux de New York le 23 août 2018. (Crédit photo: Don EMMERT – © AFP)

 

Dans certaines zones, les larves sont si nombreuses qu’il suffit de leur offrir un support où se fixer, explique Mme Mosher.

« Je n’avais pas idée qu’on trouvait des huîtres à New York! », s’enthousiasme Emma Latham, 22 ans, bénévole fraîchement diplômée en écologie de l’université de Princeton. « L’impact environnemental d’un endroit avec tant de gens vivant dans un espace aussi petit, avec autant de béton, est si terrible que toutes les petites choses qu’on peut faire pour l’améliorer, c’est formidable. »

Le projet suit de près l’évolution des récifs édifiés tout le long des côtes new-yorkaises, du Bronx à Queens.

« On s’intéresse à des choses basiques: les huîtres sont-elles en croissance? Survivent-elles? Se reproduisent-elles et créent-elles une population durable? », explique Mike McCann.

Qualité de l’eau, prédateurs, maladies, quantités de poissons font l’objet d’analyses et de relevés réguliers, un travail assuré en partie par des élèves des écoles new-yorkaises, qui étudient aussi les huîtres en classe.

 

– Immangeables –

Les New-Yorkais avalent en moyenne un demi-million d’huîtres par semaine et le projet recueille des piles de coquilles de quelque 70 restaurants chaque semaine, qu’il faut ensuite sécher et purifier.

C’est seulement au bout d’un an que les coquilles peuvent être utilisées pour la formation de récifs ou l’insertion de larves cultivées en laboratoire.

Comme les quantités de coquilles pour construire les récifs sont limitées, le projet doit recourir à d’autres méthodes: il a même broyé des milliers de cuvettes de toilette en porcelaine provenant d’écoles new-yorkaises…

Aussi florissante que soit l’initiative, les huîtres new-yorkaises restent immangeables: le traitement des eaux usées n’est pas assez fiable, et les jours de forte pluie, les eaux débordent et peuvent contaminer la baie.

« On ne pourra probablement pas les manger de notre vivant », dit Mme Mosher. « Leur fonction ici, c’est d’améliorer l’habitat et la santé du port. »


 

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