À Sousse, « Chez Pascal », le dernier pâtissier cacher en Tunisie

Crédits photo: Chloumou TEMIM – © Copyright mangeonsbien.com


Dans le temps, les pâtisseries cacher étaient légion, surtout à Tunis, où tous les gourmets se souviennent de « Chez Victor » à la rue des Tanneurs ou encore des délices de Naouri et Nathan du côté de l’avenue de la Liberté.

S’ils sont nombreux à avoir baissé le rideau, leur art culinaire s’est toutefois transmis. Ainsi par exemple, David Naouri a laissé une tradition intacte à Tunis, que ses anciens apprentis continuent à préserver.

 

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La devanture de la Boutique de David Naouri sise à Rue de Marseille, à Tunis, le 16 novembre 2017. (Crédits photo: Abdel Aziz HALI – © Copyright mangeonsbien.com)

 

Pour sa part, l’ancienne pâtisserie Nathan a également trouvé un repreneur qui maintient la tradition. Dommage, après une longue résistance, Victor a fini par jeter l’éponge même si certains de ses anciens mitrons ont ouvert ici et là des boutiques qui font la part belle à ses spécialités.

 

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Pascal assis sur une chaise devant sa Boutique à Sousse (Crédits photo: Chloumou TEMIM – © Copyright mangeonsbien.com)

 

À Sousse, « Chez Pascal » maintient cette longue tradition depuis des décennies. Au point où cette enseigne est en passe de devenir le dernier pâtissier cacher dans notre pays. Cette pâtisserie a une longue histoire qui se confond avec la vie de Chloumou Temim qui travaille ici depuis l’âge de douze ans.

 

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Pascal avec sa fameuse brouette (Source photo: Yves KAMHI – © Copyright mangeonsbien.com)

 

Originaire de Libye, la famille Temim s’est installée à Sousse en 1936 et depuis, celui que tous prénommeront Pascal travaillait avec son père, un homme sévère et compétent.

 

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Le père de Pascal TEMIM un homme sévère et compétent. (Crédits photo: Chloumou TEMIM – © Copyright mangeonsbien.com)

 

En 1950, Pascal acheta une brouette et vendra ses gâteaux partout dans la ville. Plus tard, dans les années soixante, il louera un magasin et un atelier. En parallèle, il continuait à gérer avec son père une buvette au stade de Sousse. Menant à bien son projet, il agrandira ses locaux et fera en 1985 l’acquisition de matériel moderne. Il ouvrira même un second point de vente sur la corniche mais cette initiative fera long feu. Contre vents et marées, il réussira à préserver son commerce et continue de nos jours encore à se rendre quotidiennement au magasin où le secondent ses enfants et son petit-fils, lui aussi prénommé Chloumou.

 

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Pascal devant avec sa brouette (le 2e à partir de la droite): une photo prise début années 1960 à Sousse (Crédits photo: Chloumou TEMIM)

 

Ce dernier est l’espoir de la continuité. Né en 1991, il est actuellement surveillant dans un établissement scolaire. C’est en 2014 que le jeune Chloumou a débuté avec son grand-père. Très symboliquement, il a commencé avec une brouette qu’il utilisait pour le transport des produits de l’atelier vers le point de vente qui se trouve derrière le Théâtre municipal de Sousse, non loin du Magasin général. Chloumou a commencé comme soutien à la famille et passait une partie de son temps à la pâtisserie. Le jeune homme terminait alors la soutenance de son mémoire en agronomie sur le thème de l’huile essentielle de bigaradier.

 

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Pascal (à gauche) dans les années 1970 (Source photo: Yves KAMHI – © Copyright mangeonsbien.com)

 

Avec beaucoup de courage, Chloumou a jonglé entre sa soutenance, son travail au magasin et les soins à apporter à un grand-père diminué par la maladie mais toujours vigilant et actif. L’oncle David qui s’occupait de la gestion au quotidien décédera en janvier 2013.

 

C’est le jeune Chloumou qui prendra son relais et devra s’occuper des plateaux, des sacs de sucre et du transport des produits. Comme son grand-père avant lui, il travaillera de 7h jusqu’à la nuit tombante et s’en sortira avec une simple brouette. Ce n’est qu’en janvier 2014 que la situation reviendra progressivement à la normale. L’entreprise était sauvée…

 

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Chloumou TEMIM, le petit-fils de Pascal (Crédits photo: Hatem BOURIAL – © Copyright mangeonsbien.com)

 

Aujourd’hui, Pascal est toujours présent, entouré de ses filles Rachel et Marie qui sont à l’accueil au point de vente de la rue Ali Belhouane. L’atelier se trouve à 800 mètres, mais il est voisin d’un immeuble qui menace de s’effondrer. Le résultat de cette situation est cruel puisque l’atelier risque de fermer. En effet, le bailleur tente à l’heure actuelle de récupérer son bien et la situation est des plus difficiles pour la famille.

 

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Le fameux « Boulou » de Chez Pascal (Crédits photo: Hatem BOURIAL – © Copyright mangeonsbien.com)

 

Chloumou continue à se battre pour maintenir la production. Tombé malade, le pâtissier Farhat qui travaille avec la famille depuis ses douze ans a laissé un vide béant. Son remplaçant supervisé par Pascal ne fait que mélanger la pâte et ne peut tout gérer. Mais la persévérance est toujours de mise.

 

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Malgré son âge avancé, Pascal continue de s’occuper de sa Boutique (Crédits photo: Hatem BOURIAL – © Copyright mangeonsbien.com)

 

Nougat, loukoum, « debla » et « kaâk » sortent régulièrement des fourneaux. Pascal continue à veiller sur les recettes et les mesures ainsi que la propreté rituelle des lieux. Toute la famille met la main à la pâte mais redoute l’avenir.

 

 

Il faudrait en effet de nouveaux équipements, du matériel, du personnel et des fonds introuvables. Chez les Temim, on serre les coudes et on rêve d’un nouvel atelier qui puisse servir de laboratoire de pâtisserie. Mais les temps sont durs, la communauté juive de Sousse s’est rétrécie comme peau de chagrin et le goût du public pour les gâteaux traditionnels a évolué dans une autre direction.

 

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Les croquants de Chez Pascal (Crédits photo: Chloumou TEMIM – © Copyright mangeonsbien.com)

 

Comment tenir le coup, comment rebondir? That’s the question… En attendant, la citronnade légère et parfumée, selon une recette ancienne, continue à attirer les clients qui goûtent également aux biscuits anisés et au « Boulou » de la tradition. En attendant, confronté au casse-tête d’un nouveau départ, Chloumou Temim continue à apprendre de son grand-père tout en rêvant de lendemains qui chantent…

 

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La légendaire citronnade de Chez Pascal (Crédits photo: Chloumou TEMIM – © Copyright mangeonsbien.com)

 

L’enjeu est de taille car, au-delà de cette entreprise, tout un savoir-faire ancestral, toute une tradition culturelle sont dans la balance. C’est en ce sens à nous tous de faire preuve d’audace et d’ingéniosité pour soutenir « Chez Pascal » et, grâce à cela contribuer au maintien durable du dernier pâtissier cacher en Tunisie.


8 Commentaires sur “À Sousse, « Chez Pascal », le dernier pâtissier cacher en Tunisie

  1. Pingback: Cloche d'or pâtisserie: la niche surprise des délices 100% pur beurre - Mangeons bien

  2. Nalways says:

    Une levée de fond devrait être lancée afin de proteger ce dernier patrimoine avec un tel genre. Le voir disparaitre, c’est voir disparaitre une partie de nous.

  3. Farhat says:

    Pascal est une icône de la ville de Sousse , que du respect pour ce monsieur, malheureusement comme tu l’as bien mentionné la communauté Juive de Sousse de rétrécit comme une peau de chagrin….

  4. TOUATI says:

    Quand je passerai à Sousse j’irai acheter chez Pascal, qu’il dure tout le temps car avec lui c’est une tranche de vie une génération qu’on aime.

  5. Siham Hamdi says:

    Belle success story, très bien racontée surtout. Merci pour ce bel article! A propos, je suis également journaliste culinaire marocaine.

  6. Amel Yacoubi says:

    C’est la meilleur quand je dessens à sousse.
    Je vais toujours prendre une bonne citronnade cher pascal le roi du citron.
    C’est un endroit chaleureux, accueillant ambiance tunisienne dépaysement totale…

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