« Khobz el ghanney », le pain chantant dans mon ADN

Crédit photo: Abdel Aziz HALI – © mangeonsbien.com


Mon premier souvenir de Maman en train de préparer le « khobz el ghanney* » (« خبز الغناي », en dialecte tunisien) — appelé aussi dans nos contrées: « khobz el tajine* » (« خبز الطاجين », en dialecte tunisien) — remonte à l’âge de 3 ou 4 ans: on était toutes les deux dans notre grand jardin assises à l’ombre sur des petits tabourets, et maman était en train de faire cuire le pain. Je lui demandai : “Maman, c’est quoi ce pain ?”.  “C’est du khobz el ghanney”. “ Maman, pourquoi on l’appelle ghanney, parce qu’il chante ?” “Non ma fille, c’est parce que c’est comme ça qu’on appelle le récipient en argile cuit au feu”. Mais l’enfant que j’étais était persuadée qu’on l’appelait ainsi parce qu’il chantait. J’ai longtemps gardé cette explication dans ma tête…

 

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Le fameux « khobz el ghanney » accompagné de figues « Bouhouli » de Djebba (Crédit photo: Karim BENAMOR / © Copyright Alternative Production Communication Conseil)

 

Je ne peux plus compter le nombre de fois où Maman nous a fait du « khobz el ghanney », tous les dimanches matins l’odeur du pain et de l’huile d’olive remplissait la maison. Ou bien lorsqu’on recevait des invités inattendus, elle se précipitait à la cuisine pour en préparer. Ce pain était considéré aussi comme une solution rapide pour dîner : un morceau de pain, de l’huile d’olive, des œufs, du fromage et du thon s’il y en avait …

Mais le « khobz el ghanney » ne servait pas qu’à ça. Il servait aussi à faire la « rfissa » (« رفيسة », en dialecte tunisien). Pour la faire, il faut être plusieurs, donc ça a toujours été un très bon prétexte pour rassembler la grande famille.

 

Une femme en train de préparer du »khobz el ghanney » (Crédit photo: © Tout droits réservés)

 

Lorsque mon oncle ou mon grand-père venaient nous conduire chez ma grand-mère au début de chaque période de vacances scolaires, la rfissa nous venait tout de suite à l’esprit, et on en parlait sans arrêt dans la 404 bâchée de mon grand-père: elle était synonyme de joie et de retrouvailles familiales.

Une fois arrivés en ville, mon grand-père s’arrête pour acheter tout ce qu’il faut, sans attendre : les dattes/ deglat, le beurre et le lait artisanal.

Dès qu’on met les pieds à la maison, on trouve ma grand-mère à la cuisine, où nous passons presque tout notre temps : c’est là où toute la magie se réalise, c’est là que ma grand-mère cache tous ses délices.

 

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Le pain en train de cuire dans le « ghanney », dit aussi « tajine » (Crédit photo:
© Tout droits réservés)

 

Le travail de fourmis commence alors. Ma grand-mère prépare la pâte et la laisse reposer ; elle a souvent des grands sac blanc crème en coton dans lesquels elle conserve la semoule, qui vient de la ferme de mon grand-père. Les grains de blé cultivés par mon grand-père, nettoyés par ma grand-mère et mes tantes, sont ensuite partis au moulin pour être transformés en plusieurs variétés : de la semoule pour faire la réserve de couscous et de pâtes en été, de la farine complète et semi-complète et la farine blanche.

Ma mère prépare le pain, moi et Tata Hayat on coupe le pain en tout petits morceaux sur la table, Tata Basma nettoie et coupe les dattes en 4, Tata Soulef fait fondre le beurre et chauffer le lait.

Ma grand-mère met le tout dans une marmite sur le « kanoun » (« كانون », en dialecte tunisien: une poterie creuse, en terre cuite, utilisée comme un brasero, pour la cuisson des aliments au charbon de bois-ndlr) et ajoute petit à petit le beurre, le lait et les morceaux de dattes, et des fois un peu de sucre.

 

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Le « khobz el ghanney » (Crédit photo: Abdel Aziz HALI – © mangeonsbien.com)

 

L’image que je garde est celle de tous les enfants autour de la marmite, moi par terre entre ma grand-mère, elle aussi par terre au niveau du kanoun, et mon grand-père qui est sur une chaise à table, mes tantes et les autres enfants sur des petites chaises blanches en bois, au-dessus du kanoun pour observer les croûtes de pain en train d’absorber le beurre le lait et le sucre….

La rfissa est prête, et on est servis, on mange tous dans le même grand bol, soit accroupis soit assis sur les fameuses petites chaises en bois autour de la mida (petite table basse), tandis que mon grand-père mange avec distinction avec sa cuillère dans sa propre assiette, toujours assis à la table en face du kanoun.

Satisfaction, joie, et rires : je réserve mon plus gros sourire à mon grand-père, c’est ma façon de le remercier, et lui réclame tout suite après sa tasse de thé.

 

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Le « khobz el ghanney » à déguster petit déjeuner avec un peu d’huile d’olive du miel… Yummy, yummy ! (Crédit photo: Abdel Aziz HALI – © mangeonsbien.com)

 

Mais ce n’est pas fini, la rfissa qui reste servira de petit-déjeuner dans les jours suivants, il suffit de la réchauffer et de lui ajouter un peu de beurre, les croûtes vont devenir plus dures et croquantes grâce à la chaleur…une merveille.

Le khobz el ghanney est exclusivement préparé à l’huile d’olive et à la semoule, c’est la règle d’or pour retrouver le goût d’antan mais surtout il faut utiliser le ghanney, le récipient en terre cuite, qui est le véritable secret de la magie.

Lorsque j’étais encore au collège, une année, Maman voulait nous faire du khobz el ghanney pour le dîner, mais nous n’avions pas notre réserve d’huile d’olive habituelle, elle m’a donc envoyée chez l’épicier acheter de l’huile de tournesol. À cette époque, les huiles OGM made in EU n’existaient pas encore. Nous avons été agréablement surpris par son goût délicieux, que je n’ai jamais retrouvé.

 

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Le « khobz el ghanney » (Crédit photo: Abdel Aziz HALI – © mangeonsbien.com)

 

Plus de trente ans après ma découverte du ghobz el ghanney – que dans la capitale, on appelle mlaoui -, en préparer est la chose la plus facile au monde, je peux le faire les yeux bandés, vu le nombre incalculable de fois où j’ai aidé ma mère à en faire.

Il y’a pas longtemps j’ai préparé et appris à faire le « khobz el ghanney » à ma colocataire suédoise, et lorsqu’on était en train de manger je lui ai parlé de la « rfissa », elle a tout de suite commencé à couper le pain en petit morceaux qu’elle a mis dans la poêle, ajoutant du beurre, du sucre brun et elle a eu la fabuleuse idée d’ajouter de la poudre de cannelle, la transformation était impressionnante.

 

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Le « khobz el ghanney » (Crédit photo: Abdel Aziz HALI – © mangeonsbien.com)

 

Nous faisions aussi du khobz tabouna et sa rfissa, mais ceci est une autre histoire.


*Le « ghanney » ou le « tajine »: un ustensile de cuisson en terre cuite utilisé en Afrique du Nord pour préparer du pain berbère (mlawikesra, m‘semmenmaarekmtawisemniyetterghaïfetc. ) ou des « ghrayef » (« غرايف », en arabe), dits aussi « baghrir«  (« بـغـريـر », en tamazight).


 

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