Tunisie | Achoura dans les régions: quelles sont les traditions culinaires?

Crédit photo: Monia GAJIM-ROUAI – © Copyright mangeonsbien.com


Après avoir célébré le Ras el-Âam el-Hejri (« 1er mouharram », le Nouvel An de l’Hégire, selon le calendrier islamique), les Musulmans ont entamé, depuis hier soir, les célébrations d’Achoura (une fête religieuse qui commémore le jour où Dieu a sauvé Moïse du Pharaon) en observant le jeûne, comme le faisait le prophète de l’Islam, Mouhammed (Mahomet) tout au long de cette journée jusqu’au Maghreb (le coucher du soleil) de ce vendredi. En revanche, sous d’autres cieux (Irak et Iran, essentiellement), pour les chiites, le jour d’Achoura, on commémore le massacre du petit-fils du prophète Mouhammed (Mahomet), « l’imam al-Husseïn et de 72 membres de sa famille et partisans par le califat omeyyade à Karbala en Irak ». 


Avant même d’être une fête musulmane, Achoura était une fête juive, marquant l’exode des enfants d’Israël après leur délivrance par le prophète Moïse. Le prophète Mahomet, en 622, alla à la rencontre des juifs le jour du Youm Kippour, fête de l’expiation durant laquelle ils jeûnaient. Lorsqu’il leur demanda la raison de ce jeûne les juifs répondirent que c’était en souvenir du ‘jour où Dieu donna la victoire à Moïse et aux fils d’Israël sur Pharaon et ses hommes.

C’est pour cette raison, que le Prophète Mahomet ordonna aux musulmans d’observer le jeûne ce jour là, lesquels ne comprenaient pas vraiment pourquoi ils devaient perpétrer cette tradition qui n’était pas la leur. Lorsqu’ils le lui demandèrent, le prophète leur répondit humblement que c’était parce qu’il considérait Moïse comme « plus proche » d’eux.

De ce fait, Achoura est entrée dans la sacralité de l’Islam. Un an plus tard, pour confirmer la continuité de la cérémonie juive et s’inscrire dans la tradition de Moïse, le Prophète Mahomet recommanda aux musulmans de jeûner deux jours, les neuvième et dixième jours du mois de Muharram qui marque Achoura. D’où l’origine étymologique de cette fête. « Achara » signifie dix en arabe et reprend ainsi le dixième jour de Muharram. Cette fête marque la liaison entre deux religions, le Judaïsme et l’Islam. C’est un « lien naturel et historique entre deux communautés fraternelles » que tout oppose de nos jours.

Les musulmans considèrent Achoura comme un jour de jeûne. Un jour de jeûne recommandé et non obligatoire. Les savants se réfèrent à un hadit de Sahih de Boukhari et de Mouslim rapportant que : « aujourd’hui est le jour de achoura, Allah n’a pas fait un devoir pour vous de le jeûner ; que celui qui le veut jeûne et que celui qui ne le veut pas, ne jeûne pas ». La cérémonie est célébrée différemment selon les écoles chiites et sunnites. Pour les chiites, Achoura est un jour de deuil important qui marque la mort de l’imam Hussein tué et décapité au combat il y a 13 siècles. Une figure emblématique du chiisme et petit-fils du Prophète Mahomet. C’est le jour du Pèlerinage à Kerbala, ville sainte au centre de l’Irak où se trouve la tombe d’Hussein. Tout au long de la journée, les hommes marchent dans les rues en se frappant la poitrine et la tête pour exprimer leur peine collective. Des manifestations impressionnantes de flagellation ont également lieu au cours de ces cérémonies expiatoires.

 

Une fête mineure pour les sunnites du Maghreb

Pour les pays sunnites du Maghreb, le concept est différent. Achoura, qui n’est pas mentionnée dans le Coran, est considérée comme une fête mineure. Elle symbolise l’accostage de l’Arche de Noé.

En Tunisie, pour l’Iftar (dîner de rupture du jeûne) d’Achoura, plusieurs mets sont préparés à cette occasion, selon les us et les coutumes de chaque région.

À Tunis, par exemple, on cuisine un couscous ou un plat de « nwasser » au poulet fermier et ornementé d’oeufs durs.

 

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« Nwasser » au poulet (Crédits photo:Amèl MEDIMAGH – Koujiniti El Tounisia)

 

Au Cap Bon, des spaghettis au poulet, dites « douida » 

Par contre au Cap Bon (Nabeul, Dar Chaâbane El-Fehri, MaâmouraHammamet, etc…), on prépare une « douida » (spaghettis de calibre très fin à ne pas confondre avec les vermicelles et les cheveux d’anges-Ndlr) au poulet avec une sauce à base de curcuma accompagné d’oeufs durs, de pois chiches, de friandises (dragées), des raisins secs et d’amandes épluchés voire même des dattes.

 

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À Nabeul, on prépare la fameuse « douida » au poulet fermier avec une sauce à base de curcuma accompagnée d’oeufs durs, de friandises et d’amandes (Crédits photo: Monia GAJIM-ROUAI– © Copyright mangeonsbien.com)

 

Chez les Bizertins, le rupture du jeûne d’Achoura rime avec pois chiches pochés et dragées ou bonbons colorées.

À Jendouba, l’influence de la cuisine du voisin algérien se manifeste à travers la fameuse « chakhchouka » aux pilons de poulet à la mode constantinoise: un plat à base de « kesra » (pain à base de semoule et ayant la forme d’une galette qui est généralement cuit sur un tadjine à feu vif) émietté et arrosé avec une sauce.

Chez les voisins du Kef, rebelote avec le couscous au « qaddid » (viande séchée) déjà préparé lors de la fête du « Ras el-Aam el-Hejri ».

 

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À Jendouba, l’influence de la cuisine de la cuisine de l’Est algérien est bien présente avec la « Chakhchoukha » aux pilons de poulet. (Crédits photo: Sarah – Le sucré salé d’Oum Souhaib)

 

Dans le Sahel, la « maslouka » est reine !

Dans la région du Sahel, À Monastir, le festin commence la veille avec la « Tasouâa » dans lequel on prépare un repas de fête consistant, généralement des macaronis ou un couscous au poulet fermier, pour aider à supporter le jeûne très strict qui s’en suivra.

Toujours à Monastir, mais aussi à Sousse et Moknine, comme entrée chaude, le soir de l’Achoura, on mange la fameuse « maslouka »: un mélange de blé, des pois chiches, de lentilles et de fèves séchées bien pochés dans l’eau et assaisonnés avec de l’harissa fait-maison et du cumin.

 

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La « maslouka » du Sahel: cette photo a été prise à Moknine (Crédits photo: Sana HS – Instagram)

 

Toujours chez les Monastiriens, comme suite, rien de tel qu’un succulent « bazine’’, une sorte de bouillie de semoule, dite « assida » blanche, arrosée avec une sauce à base de figues séchés et de poulet et accompagné d’oeufs durs. Et les Soussiens ont aussi la tradition du « bazine » mais préparé d’une autre manière

Un peu vers le sud du Sahel, dans la capitale des Fatimides, Mahdia et chez leurs voisins de la ville de Chebba, certes, on prépare des spaghettis fines au poulet fermier accompagnés d’oeufs colorés, mais pas de trace de la « maslouka ».

À Sfax, jadis, à l’occasion de l’Achoura, la « maslouka » avait aussi sa place sur la table de l’Iftar. Sauf que pour les Sfaxiens, et contrairement aux Sahéliens, ce plat se décline en une version sucrée.

À Gabès: fêves, oeufs colorés & viande à la vapeur

Cap vers le sud de la Tunisie, du côté de la ville de Gabès, comme entrée chaude, on propose ce soir là, des fèves pochées et des oeufs colorées comme ceux du Lundi de Pâques chez les Chrétiens.

 

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À Gabèsm on sert comme entrée chaude des fèves pochées et assaisonnées au cumin et des oeufs colorés. (Crédits photo » Sabra DAHOUADI-SBOUI – mangeonsbien.com)

 

Ensuite, pour le plat résistant, les Gabésiennes préparent de la viande de boeuf cuite à la vapeur. Enfin, comme dessert, on sert une « mhalbia » (une sorte pudding de riz) aux amandes.

 

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Comme suite, chez les Gabéssiens, on mange de la viande de boeuf cuite à la vapeur. (Crédits photo: Sabra DHAOUADI-SBOUI – mangeonsbien.com)

 

Enfin, on clôture ce tour d’horizon du patrimoine culinaire tunisien, spécial Achoura, avec l’Île de Djerba où les ménagères utilisent le qaddid du Aïd al-Adha pour préparer deux plats: la fameuse « tbikha » et un couscous.

Et les Djerbiennes ne s’arrêtent pas là ! En effet, outre ces deux mets, au menu du dîner de l’Achoura, on signale aussi la remarquable présence du « maâkoud »*: une sorte de crème sucrée-salée à base d’un bouillon de viande de boeuf cuit dans le jus filtré de raisin sec et qu’elles épaississent avec de l’amidon.


1- Le « maâkoud » de la fête d’Achoura chez les Djerbiens: À ne pas confondre avec le « maâkoud » (homonyme), un plat d’inspiration juive à base de blancs de poulets et d’oeufs (durs et battus en omelette), l’équivalent de la tortilla dans la cuisine espagnole.


 

4 Commentaires sur “Tunisie | Achoura dans les régions: quelles sont les traditions culinaires?

  1. Lamia says:

    Bel article comme toujours! j’ai le mal du pays à chacun de vos articles culinaires….Ici au Liban point de célébrations pour la communauté chiite qui commèmore le martyre de Hussein, pour les autres un jour férié sans plus….

  2. Salwa Mili. says:

    Au Sahel IL y a aussi et surtout le fameux « Bezyne Bel A3qyd » une assida de semoule cuite et battue a feu doux dans une terrine en ceramique, arrosee dune sauce salee-sucree au poulet ou salee au Kadid. Un vrai delice succulent.

  3. Daniele says:

    Merci pour ce documentaire fort intéressant qui nous ouvre l esprit sur les us et outumes d ailleurs, allant souvent à Djerba et ayant des amis djerbiens suis heureux de découvrir leur coutumes par ce documentaire merci du partage

  4. Désirée Haddad Bellaiche says:

    Merci pour toutes ces recherches et précisions fort recherchées qui nous aident a expliquer à nos amis ce qu est la achoura . Pour moi avec les traditions nabeuliennes . Félicitations pour ce travail sérieux et complet

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