Café, sucre, farine et beurre : la Tunisie à l’heure des pénuries et du rationnement

Crédit photo: Hanene MABROUK – © mangeonsbien.com


Depuis le début du conflit russo-ukrainien, partout dans le monde, on craint des pénuries d’essence, de gaz, de farine, d’huile végétale… En Tunisie, avec une économie moribonde et des finances publics aux abois, le café, le sucre et le beurre sont venus compléter cette liste de pénuries poussant les cafetiers et les supérettes à appliquer une politique de rationnement. Le quotidien pourrait-il être chamboulé par ce manque ? Les temps sont durs dans l’ex-grenier à blé de Rome.


REPORTAGE – Imed est un « barista » dans un café implanté à coté du centre de vaccination anti-Covid à Nabeul. Comme tous les personnels de ce genre d’établissements, le café et le sucre sont les principales vertèbres de l’épine dorsale de son gagne pain. Mais voilà, ces derniers mois, son job est de plus en plus menacé par les pénuries qui frappent ces deux denrées alimentaires.

« Le café et le sucre sont les pierres angulaires de notre activité. On vit au quotidien un casse-tête chinois pour s’approvisionner de ces deux matières premières et essentielles pour notre activité. Après la crise du sucre, celle du café peut porter un coup fatal au secteur et pousser plusieurs cafés et cafétérias à  baisser les rideaux. », déclare Imed.

 

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Imed, le « barista », est en train de préparer un « Express allongé » à l’un de ses clients. (Crédit photo: Hanene MABROUK – © mangeonsbien.com)

 

Il faut dire que ce « barista » quinquagénaire n’a pas tort.

À Sfax, la capitale économique du pays, la chambre syndicale des cafetiers a annoncé, jeudi 25 août, la fermeture de 120 cafés, à cause de la pénurie du café en poudre. Elle a, également, assuré que cette pénurie ajoutée à celle du sucre et de l’eau minérale, ne pourrait que pousser bon nombre de professionnels à jeter l’éponge.

Selon le vice-président de la Chambre nationale des propriétaires de cafés, Sadri Ben Azouz, une « possible catastrophe, celle d’une rupture totale de café ». Il renchérit : « Ce scénario catastrophe peut conduire, tout simplement, à la fermeture de tous les cafés, toutes catégories confondues, et donc au renvoi des 120 mille employés du secteur ».

 

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Imed tenant dans sa main une tasse de café, le fameux « Express allongé ». (Crédit photo: Hanene MABROUK – © mangeonsbien.com)

 

Pour Sadri Ben Azouz, « il est urgent que les autorités compétentes trouvent une solution dans les plus brefs délais, car la situation va s’envenimer et la profession n’est pas apte à faire face à une nouvelle crise étant déjà fragilisée par la pandémie de Covid-19″.

En effet, ces dernières semaines, les trois grands cafetiers de la place — Bondin, Ben Yedder et Ellouze — ont imposé à leur clientèle une politique de rationnement, en placardant dans leurs boutiques des notes indiquant qu’ils ne peuvent fournir à chaque client plus de 200 grammes, comme à une époque pas très lointaine où dans les grandes surfaces on ne pouvait acquérir que deux litres de lait ou un kilogramme de farine ou de semoule.

 

 

Dans ces pancartes, on peut lire le message suivant:

« Chers clients,

Au vu des perturbations d’approvisionnement en café vert de l’Office du Commerce de la Tunisie et afin de satisfaire le plus grands nombre de clients, nous avons le regret de vous informer que nous ne pourrons servir qu’un maximum de 200g de café par personne.

Cette mesure ne s’applique pas aux cafés ‘Arabica’ lavés.

Nous comptons sur votre compréhension, et vous remercions pour votre fidélité. »

Une telle mesure a provoqué de longues files d’attentes devant les boutiques de ces trois grandes marques de café. Et plusieurs clients se sont plaints non seulement de la dégradation du service proposé, mais aussi de la qualité des cafés ‘Arabica’ lavés (non concernés par cette mesure de rationnement).

« J’ai acheté comme à l’accoutumée 150g de café 100% ‘Arabica’ lavé « Made in Ethiopia ». Malheureusement, l’arôme laisse à désirer. Et le parfum des graines fraîchement moulues n’est plus au rendez-vous. », souligne Sahbi, un fidèle de l’enseigne « Bondin » à Nabeul.

 

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La porte d’entrée de la boutique du cafetier « Bondin » à Nabeul est bondée par les clients qui attendent leur tour. (Crédit photo: Hanene MABROUK – © mangeonsbien.com)

 

Dans un autre registre, on ne compte plus les boulangeries forcées de travailler une demi-journée voire fermer carrément durant les week-ends par manque de farine.

C’est le cas de Wissem, l’un des héritiers de la boulangerie Gastli dans la Cité des Potiers, qu’on a croisé en train d’accrocher une pancarte sur le rideau baissé de leur enseigne pour informer leurs clients de la fermeture de leur local durant la journée de dimanche.

Il nous explique: « Durant la saison estivale, pour faire face à l’augmentation de la population — entre touristes, visiteurs et expatriés –, on obtient auprès de notre fournisseur une augmentation de 30% sur notre quota mensuel. Cette année, avec les manques accusés au niveau des Grands Moulins, le quota du mois de juillet était dépourvu de ce bonus. »

 

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Chef Samir Amara en train de préparer la pâte. (Crédit photo: Anis KALAI – © mangeonsbien.com)

 

Il ajoute: « Et pour le mois d’août, on attend toujours notre quota. Devant un tel constat, on a non seulement imposé une politique de rationnement, soit pas plus de 5 baguettes par personne et fait baissé le quota de nos clients revendeurs à 50%. Et pour ce qui est de notre production, la boulangerie fut contrainte de travailler jusqu’à midi et de fermer parfois les samedis et tous les dimanches. »

Et si le café, le pain et la farine se font de plus en plus rares sur les étals, le sucre semoule ne déroge pas à cette règle. Devenu une denrée rare sous nos cieux, la crise du sucre a fini par impacter négativement le secteur de l’agroalimentaire.

 

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Le sucre semoule (Crédit photo: © AFP -Yamil LAGE)

 

Au dernières nouvelles, la Société tunisienne des boissons gazeuses (STBG) — partenaire local du géant américain « The Coca Cola Company » — a, tout récemment, mis au chômage technique pas moins de 6.000 employés en raison de la fermeture de l’usine.

 

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Les boissons industrielles sont bourrées de sucre (Crédit photo: © PA MEDIA / Tous droits réservés)

 

Les malheureux ouvriers de cette fabrique de boissons gazeuses ont organisé, vendredi 26 août 2022, une manifestation devant le siège du gouvernorat de Ben Arous.

Dans une vidéo largement relayée sur les réseaux socio-numériques, les « sittiners » ont scandé les slogans suivants:

« Ramenez le sucre ! Ramenez le sucre ! L’usine de Coca est fermée ! », « Nous ne rentrerons pas chez nous ! », ou encore « Sit-in ! Sit-in ! ».

 

Ils ont, également, brandi des pancartes avec l’inscription « Le sucre est un produit de base », « Nous voulons travailler pour survivre » et « Sucre = Travail = Dignité ».

Or, tel un effet de domino, la fermeture de l’usine en raison de la pénurie de sucre va engendrer la suspension de la livraison de sa production (sodas, jus, boissons aromatisées et bière sans alcool) à plus de 20.000 clients et distributeurs.

Idem, pour le secteur des biscuits. Une organisation faisant de la promotion du produit tunisien son cheval de bataille, a annoncé que « plusieurs usines de fabrication de biscuit ont fermé leurs portes et mis leurs personnels au chômage technique (…) pour manque de sucre sur le marché local. », selon Tunisie Numérique.

Cette situation si alarmante inquiète, également, les pâtissiers qui souffrent le martyr du manque de sucre semoule et de la pénurie du beurre.

 

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Le beurre: la pierre angulaire de la viennoiserie. (Crédit photo: Anis KALAI – © mangeonsbien.com)

 

« Ces deux dernières semaines le beurre manque à l’appel chez nos fournisseurs. Et qui dit beurre, dit viennoiseries (croissants, brioches, etc.) et gâteaux. Pour le moment, on a trouvé la parade dans un produit moins cher : un mélange de margarine et de beurre qui donne un résultat plus ou moins satisfaisant. », fait savoir chef Samir Amara.

 

 

« Le beurre est très important dans notre activité. Mais le sucre l’est plus. Actuellement, je suis en train de préparer mes gâteaux et croissants avec du sucre glace qui coûte deux fois plus cher que le sucre semoule. Et si ça va continuer comme ça, surtout avec la pénurie du sucre semoule, plusieurs pâtisseries finiront par mettre les clefs sous le paillasson voire même déclarer faillite. », conclut-il.

 

 

Si la guerre en Ukraine continue de sévir, l’inquiétude bat son plein dans nos contrées, notamment face à la flambée des prix de l’énergie et la hausse des prix dans les supermarchés.

Pour l’heure, le gouvernement tunisien se veut rassurant pour éviter tout effet de panique et barrer la route aux spéculateurs. Reste que l’invasion de la Russie en Ukraine a non seulement enfoncé la Tunisie dans une crise économique (déjà) endémique, jumelée à des pénuries touchant les produits de première nécessité, dont les ménages sont les premières victimes.


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