Akkacha & Ben Gabsia: icônes nabeuliennes de l’affûtage des couteaux

Crédit photo: Abdel Aziz HALI – © Copyright mangeonsbien.com


«Un couteau qui ne coupe pas, c’est comme une valise sans poignée», disait Hans-Friedrich Von Croft dans « Lettres à mes filles ». En Tunisie, les jours précédant l’Aïd al-Kébir (la fête du Sacrifice), certains petits métiers, saisonniers, reprennent les devants de la scène quotidienne. C’est le cas de forgerons convertis en aiguiseurs, qui pullulent dans les quartiers et les artères de nos villes, indispensables pour effiler et affûter tout un arsenal servant à égorger, dépiauter et découper le mouton. Gros plan sur un métier qui se transmet de père en fils !


Du côté de la ville de Nabeul comme partout en Tunisie, nombreux deviennent des aiguiseurs qui s’installent, dans tous les coins stratégiques de la ville, durant la semaine qui précède la fête du sacrifice, connue sous nous cieux sous le nom de «Aïd al-Idha» ou «Aïd al-Kébir».

C’est le cas de «Ammi» Moncef Akkacha, le plus célèbre des aiguiseurs dans la ville des Potiers qui, contrairement aux années précédentes, a déplacé son échoppe à l’avenue Habib-Bourguiba alors que tous ses clients avaient l’habitude de le retrouver chaque année devant le Hammam el-Bhaïer.

Soixante-huit ans au compteur, Moncef Akkacha est un Maître-Forgeron de père en fils. Dès l’âge de treize ans, il a commencé a exercer l’art de l’effilage des couteux et des hachettes.

«Je suis né, en 1950, à Nabeul. Et mon grand-père ainsi que mon père étaient de célèbres forgerons. Notre famille est spécialisée dans le fer forgé rustique et l’aiguisage des couteaux et des hachettes. J’ai débuté cette activité en 1963. Et voilà maintenant 55 ans que j’affûte les couteaux de l’Aïd.», fait-il savoir.

 

Akacha
Le Maître aiguiseur, Moncef Akkacha en train d’affûter un couteau (Crédit photo: Abdel Aziz HALI – © Copyright mangeonsbien.com)

 

«Au début, la machine de l’aiguisage était manuelle et actionnée par un pédalo. Les meules étaient toutes fabriquées en pierre. Mais à partir de 1975, j’étais le premier en Tunisie à utiliser une machine électrique pour exercer mon art. », ajoute-til.

 

 

« D’ailleurs, cette machine, je l’ai fabriquée de mes propres mains. Et chaque année, je l’entretiens par un coup de pinceau vert et orange (l’emblème de la ville de Nabeul: les couleurs du Stade Nabeulien-ndlr), tout en essayant de la moderniser au fil des ans. », renchérit-il.

 

Une affaire de famille…

Un peu plus loin,  Skander Ben Gabsia et son père Radhi (72 ans) nous accueillent dans leur atelier situé dans le quartier du R’bat, le fief des Nattiers à Nabeul.

«Ça fait cinquante ans que je pratique l’aiguisage à la veille de l’Aïd al-Kébir. En tant que forgeron retraité, j’aide mon fils au cours de l’année dans la gestion de sa crèmerie. Mais chaque année, pendant les jours qui précèdent la fête du sacrifice, je renoue avec l’aiguisage, épaulé par mes deux fils, surtout que l’un d’eux a hérité de moi la passion et de l’affûtage des couteaux. », souligne Radhi Ben Gabsia.

 

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Radhi Ben Gabsia en train d’aiguiser un couteau. (Crédit photo: Abdel Aziz HALI – © Copyright mangeonsbien.com)

 

« Les années précédentes, on avait l’habitude d’obtenir une autorisation de la municipalité pour dresser le chapiteau de notre échoppe. Cette année, on a pris le décision de rester dans notre atelier. », précise-t-il.

 

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Skander (le fils) et Radhi Ben Gabsia (le père) en œuvre (Crédit photo: Abdel Aziz HALI – © Copyright mangeonsbien.com)

 

« Ce qui distingue notre échoppe des autres, c’est qu’on est spécialisé dans la fabrication des haches et des hachettes à partir des lames des ressorts des grands camions. Mon fils Skander les fabrique ici dans son atelier. Et les clients se les arrachent comme des petits pains car ils sont très robustes», ajoute-t-il.

 

Un savoir-faire et des astuces

Mais ce qui distingue l’échoppe de Moncef Akkacha de celles des autres aiguiseurs, c’est que notre homme a su, en plus de ses compétences dans l’effilage et avec le temps, préserver certaines traditions du métier.

En effet, dans son échoppe, on distingue la présence d’un bac à chaux pour éviter que la rouille ne s’installe sur les lames des couteaux fraîchement affutés et surtout pour assurer un maximum d’hygiène de l’arsenal qui va servir à découper et égorger le mouton le jour J.

«Certes, de nos jours, plusieurs forgerons ou pseudo-forgerons s’improvisent aiguiseurs professionnels, mais notre métier a ses règles et son propre savoir-faire. Comme vous l’avez constaté, je perpétue jusqu’à nos jours l’utilisation du bac à chaux pour stériliser les lames aiguisées afin d’éviter que ces dernières ne soient envahies par la rouille. Il faut toujours le rappeler, l’affûtage se fait à l’aide de l’eau, surtout quand on utilise une meule en pierre pour ne pas risquer de porter l’acier au rouge, donc de le faire bleuir. Tout bonnement car sans l’utilisation de l’eau, l’acier chauffe et la température peut modifier sa structure moléculaire et cela le rend cassant. », précise M. Akkacha.

 

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Moncef Akkacha en train plonger les couteaux fraîchement affûtés dans un sceau de chaux. (Crédit photo: Abdel Aziz HALI – © Copyright mangeonsbien.com)

 

« Mais qui dit eau associée à l’acier, dit systématiquement formation de la rouille. D’où l’astuce qui consiste à tremper les couteux et les hachettes dans la chaux. Malheureusement, rares sont ceux qui utilisent la chaux après l’aiguisage. Ce qui est déplorable, c’est que les services d’hygiène n’effectuent pas de contrôles pour exiger l’utilisation de ce produit. Enfin, pour ma part, après l’affûtage à l’aide d’une meule à disque métallique, je conseille toujours un dernier effilage avec une meule en pierre naturelle (américaine ou belge), à utiliser avec de l’eau : aiguisage fin et efficace garanti», poursuit-il.

Minutieux et très méticuleux, «Ammi» Akkacha aime la discipline. Accompagné de son poste radio datant des années 70 et bien niché dans un box métallique, le vieil aiguiseur exige que les couffins ou les sachets en plastique remplis de couteaux et de hachettes soient accompagnés d’une étiquette ou d’un petit bout de carton où on peut distinguer le nom et le prénom ainsi que le numéro de téléphone du client.

 

 

Et la renommée de M. Akkacha dépasse les frontières tunisiennes:

«Chaque année, quand je viens passer mes vacances à Nabeul et en prévision pour l »’Aïd al-Adha », je ramène mes couteaux pour les affûter chez cet Artisan-Aiguiseur. Son effilage de la lame est irréprochable. Un véritable travail d’orfèvres. En plus, il est très sympathique et ses prix sont bien étudiés.», s’explique une touriste algérienne rencontrée devant l’échoppe de M. moncef Akacha, à Nabeul.

 

Décidément, si les ménages chaque année mettent le paquet pour s’approvisionner en épices : safran, romarin, cannelle, thym, feuilles de laurier, fenouil, chouch il ward (boutons de rose de Damas)… et autres condiments nécessaires à l’assaisonnement et l’aromatisation de plats variés à base de viande de mouton, au goût relevé et richement confectionnés, l’aiguisage des couteux et des hachettes reste pour sa part un acte incontournable pour toutes les familles musulmanes.

Bonne fête et snin deyma !


 

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