Le 5 mars 1857, la « British India » connut la conspiration des chapatis !

© Pankaj


Rien à avoir avec le chapati tunisien (un sandwich très populaire, notamment à la Mahdia-ndlr), dans le sous-continent indien (Inde, Pakistan, Bangladesh, Sri Lanka, Bhoutan, Maldives et Népal voire même l’Afghanistan), le chapati (चपाती, ćapātī, en hindi) — également orthographié, chapattichappatichapathi, ou chappathi et connu sous d’autres appellations: shabaati, safati, roti, phulka, ou roshi (Maldives) — est pain élaboré à partir d’une pâte de farine de blé complète sans levain ni levure, dite « atta » et d’eau. Il constitue avec le riz, l’un des piliers du patrimoine culinaire du monde indien. Mais, tout porte à croire que dans la « British India » (l’Inde britannique), ce mets aurait été un élément déclencheur de la fameuse révolte des Cipayes, aussi appelée première guerre d’indépendance indienne ou rébellion indienne de 1857 contre la Compagnie anglaise des Indes orientales. Retour sur cette conspiration des chapatis qui a foutu le jetons aux Britanniques !


En mars 1857, selon The Better India [1], dans une lettre adressée à sa sœur résidant au Royaume-Uni, le Dr Gilbert Hadow, un chirurgien de l’armée britannique affecté dans la Compagnie anglaise des Indes orientales, écrivit les lignes suivantes pour en décrivant un mouvement étrange:

« Il y a une affaire des plus mystérieuses dans toute l’Inde à l’heure actuelle. Personne ne semble en connaître le sens. On ne sait pas d’où elle provient, par qui ou à quelle fin, si elle est censée être liée à une cérémonie religieuse ou si elle a quelque chose à voir avec une société secrète. Les journaux indiens sont pleins de conjectures quant à ce que cela signifie. C’est ce qu’on appelle le mouvement des chapatis. »

En effet, dans sa missive destinée à sa frangine, Dr Hadow a mis en évidence l’étrange distribution de plusieurs milliers de chapatis transmis de main en main et de village en village à travers le pays en 1857.

Comme on peut le constater à travers ses mots, les fameux chapatis ont provoqué une sorte de psychose générale pour ne pas dire une peur bleue dans le camp des fonctionnaires et les soldats britanniques avant le déclenchement de la mutinerie des Cipayes contre l’armée de la Compagnie anglaise des Indes orientales le 10 mai 1857 dans la ville de Meerut. Un mouvement qui entraîna un soulèvement populaire dans le Nord et le centre de l’Inde.

 

Il faut dire qu’en 1857, les tensions dans l’Inde britannique étaient à un niveau record. Exploités, mécontents, malades et fatigués par la domination de l’Empire de Sa Majesté la reine Victoria, les autochtones planifiaient tranquillement une rébellion.

En février de cette année, une chose étrange a commencé à se produire: pendant la nuit, des milliers de chapatis sans aucun signe marquant ont été distribués aux maisons et aux postes de police partout en Inde par des individus, surnommés « Chapati runners » (les coureurs de chapatis)

Le mouvement a été découvert par Mark Thornhill, magistrat de la ville de Mathura. Ce dernier a enquêté et trouvé que les chapatis voyageaient jusqu’à 300 kilomètres chaque nuit de la rivière Narmada au sud jusqu’au nord, la frontière avec le Népal. Cette mystérieuse et rapide distribution des modestes chapatis suffisait à le convaincre qu’il se passait quelque chose de louche.

Des recherches approfondies sur les dessous de cette distribution bizarre ont provoqué plusieurs de théories, mais peu de faits. Comme il n’y avait pas un mot écrit et aucun signe sur les chapatis, les Britanniques étaient furieux de ne pouvoir trouver de motif pour arrêter les « coureurs de chapatis ». D’ailleurs, ces individus étaient souvent eux-mêmes des policiers chowkidars !

Curieusement, quand les coureurs des chapatis ont été questionnés plus tard sur l’importance de transporter ce pain indien d’une maison à l’autre, ils n’avaient aucune idée du but de leurs actions. Les chapatis étaient réels, mais personne, pas même les coureurs, ne savait à quoi ils servaient. Les policiers chowkidars rechauffaient et remettaient les chapatis, de deux pouces de diamètre chacun, à leurs collègues. Les collègues, à leur tour, en font plus et les transmettent à leurs homologues des villages voisins.

 

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Esquisse inachevée d’un artiste montrant des femmes fabriquant du chapati, env. 1775, Rajasthan, Inde. (Crédit photo: Domaine public)

 

Les documents rares de la révolte de 1857 indiquent que le 5 mars 1857, les chapatis avaient parcouru de très grandes distances du nord-ouest de l’Uttar Pradesh (les deux régions de l’Awadh et du Rohilkhand ) à Delhi.

La panique s’est répandue parmi les officiers britanniques quand ils ont constaté que les chapatis avaient pénétré dans tous les postes de police de la région et que près de 90.000 policiers participaient à cette opération. Le fait que les chapatis se déplaçaient plus vite que le courrier britannique était particulièrement déconcertant.

Même s’il n’y avait pas de preuve concluante, les Britanniques craignaient que les chapatis étaient une sorte de code: une sorte de signal annonçant un appel à la révolte contre la domination coloniale. Les opinions étaient partagées quant à savoir si le pain venait de l’est, près de Calcutta (Kolkata), ou d’Awadh au nord, ou d’Indore, au centre du pays.

Dans l’ensemble, cette conspiration des chapaties a laissé l’Empire britannique profondément déconcerté.

Il reste à rappeler que les Britanniques contrôlaient le sous-continent indien avec un nombre relativement restreint d’hommes (100 000 au total) pour une population de 250 millions d’habitants. Le représentants de l’Empire britannique étaient parfaitement conscients du danger en cas de rébellion vu le déficit assez manifeste en termes d’hommes.

 

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Une gravure illustrant les combats lors de la révolte des cipayes. (Crédit photo: Domaine public)

 

Sur le qui-vive, ils étaient plongés dans une paranoïa générale face à tout phénomène et faits qu’ils ne pouvaient pas comprendre ou décrypter.

En 1857, les rumeurs au sujet de cette chaine humaine transportant et diffusant des chapatis ont créé une lourde atmosphère de suspicion dans tout le pays. Et lorsque la révolte a éclaté cette année-là, avec la première rébellion armée à Meerut le 10 mai, la circulation des chapatis était largement répandue et planifié par un mouvement clandestin qui l’avait mis en mouvement.

Des années plus tard, dans le livre « Life In the Indian Mutiny« , J.W .Sherar a admis que si l’objectif derrière cette stratégie était de créer une mystérieuse atmosphère d’agitation. Et bien tout porte à croire que l’objectif était amplement atteint. Mission accomplie !

Les mystérieuses livraisons de chapatis de 1857 ont fini par plonger les Britanniques dans une psychose. Un état de suspicion permanent qui par le suite s’est avéré être une arme efficace de déstabilisation et de guerre psychologique contre la domination coloniale.

On, dit que les chapatis étaient aussi un aliment de base dans l’armée de Tantia Tope et de Lakshmi Bai surtout lors de leurs déplacements pendant la révolte. Kunwar Singh, le doyen de la guérilla, voyageait aussi avec une poignée de soldats et ne s’arrêtait que dans les villages pour remplir ses sacs de chapatis badigeonnés de ghi (beurre clarifié: l’équivalent de notre smen) et/ou de jaggery (connu aussi sous l’appellation de gur: sucre non raffiné) et d’eau.

 

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Une fille de pèlerin à Mahakutta, en Inde, cuisant du pain chapati dans un temple. (Crédit photo: Claude Renault – Creative Commons)

 

Enfin, selon des études récentes, la circulation des chapatis pourrait avoir été une tentative de fournir de la nourriture aux personnes atteintes de choléra. Cependant, face à des preuves non concluantes, et loin des théories de complots, on peut seulement dire pour l’instant que les chapatis n’étaient que des chapatis, et non des messages secrets ou des avertissements d’une révolte imminente.


Source: 

[1]: Chapati Movement: How the Ubiquitous and Harmless Chapati Had Terrified the British in 1857 (Sanchari Pal – The Better India)


 

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